
Entre l’idéal collaboratif et l’embouteillage relationnel
La coopération est aujourd’hui omniprésente dans les discours organisationnels. Mais sur le terrain, ce mot-valise peine parfois à tenir ses promesses. Dans bien des contextes, l’empilement des comités, des boucles de validation croisées et des échanges informels permanents produit une saturation relationnelle : trop de liens, pas assez de clarté.
Ce paradoxe est documenté depuis longtemps. Crozier et Friedberg, dès les années 1970, montraient que le fonctionnement réel d’une organisation s’appuie moins sur son organigramme que sur des jeux d’acteurs où chacun tente de gérer l’incertitude. Quand les responsabilités sont mal délimitées, multiplier les échanges devient une stratégie de protection, au détriment de la lisibilité collective.
Quand la coopération se transforme en labyrinthe
Au sein d'une organisation accompagnée, la coopération entre les RH de site et la DRH centrale était censée être fluide : comités bimensuels, groupes de travail transverses, points hebdo, messagerie instantanée… Mais au fil du temps, le système avait engendré l’inverse de ce qu’il promettait.
Les RH terrain avaient l’impression de “remonter des infos qui n’aboutissent pas”, tandis que le siège se sentait noyé sous les sollicitations. Une responsable RH, pourtant expérimentée, a glissé un jour en aparté : « Je passe mon temps à reformuler pour ne pas froisser, à relancer sans trop insister, à faire passer des messages sans savoir qui va les prendre. C’est plus de la diplomatie que du pilotage RH. »
L'analyse des flux a mis en lumière un fait frappant : une même demande de clarification de procédure pouvait être relue, reformulée, suspendue ou relancée par jusqu'à 7 personnes. Tout le monde était engagé dans la boucle, personne n’était responsable de sa clôture. Résultat :
du travail invisible,
une charge mentale élevée,
un sentiment d’inefficacité croissante et d'impuissance,
une crispation des relations inter-sites.
Ce qui devait fluidifier la coopération l'avait, en réalité, enkystée.
Clarifier n’est pas rigidifier
Ce que cet exemple illustre, c’est que la coopération ne va pas de soi. Comme le rappelle le sociologue Philippe Zarifian, l’intelligence collective repose sur des conditions précises : des rôles identifiés, des espaces de décision explicites, une finalité commune. À défaut, l’organisation devient bavarde mais confuse.
Le sociologue des organisations Mark Granovetter a quant à lui popularisé la notion de “liens faibles” dans les réseaux sociaux, souvent interprétée comme une vertu : multiplier les connexions serait synonyme d’agilité. Mais en entreprise, l’excès de liens sans structure produit du bruit, pas nécessairement de la valeur. C’est la qualité du lien, pas sa quantité, qui détermine l’efficacité collective.
Clarifier, ce n'est pas revenir à un modèle vertical rigide. C'est rendre lisible qui fait quoi avec qui, pourquoi, et dans quel périmètre de décision. Ce travail de structuration est une condition de coopération réelle.
Repenser les circuits de coopération : quelques leviers concrets
• Cartographier les échanges réels, formels et informels : qui parle à qui, quand, sur quoi ?
• Identifier les nœuds relationnels critiques, ces zones où les décisions stagnent ou s’enlisent.
• Simplifier les interfaces : clarifier les rôles, les marges de décision, les circuits de validation.
• Nommer les zones grises, pour éviter que chacun comble le flou à sa manière.
Clarifier pour mieux coopérer
Coopérer, ce n’est pas tout faire ensemble. C’est pouvoir compter les uns sur les autres dans un cadre lisible. Ce que nous recherchons n’est pas une hyper-connexion permanente, mais un maillage fonctionnel, apaisé, aligné sur l’action.
Repenser les circuits de coopération, ce n’est pas renoncer à la transversalité : c’est lui redonner du sens, en la reliant à une vraie capacité d’agir.
Nos articles ouvrent des perspectives, notre approche leur donne un cadre.
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